Bornes de recharge publique : de l’anarchie à la gestion

Publié le 29 janvier 2014 à 13h33 | Fabrice SPATH | 7 minutes

D’ici la fin 2017, 5 000 bornes de recharge rapide pour voitures électriques devraient être installées et gérées en France. En lice : les groupes Bolloré et EDF

Les groupes Bolloré et EDF sont en lice pour gérer le futur réseau de bornes de recharge pour véhicules électriques en France. Dévoilée hier par le journal Les Echos, cette information corrobore les rumeurs du printemps dernier concernant l’installation et la gestion de 5 000 bornes de recharge rapide. Pourtant, de la communication à l’action, le chemin est encore long … L’analyse de Thierry Malinur et Fabrice Spath, fondateurs du site breezcar.com

 

5 800 bornes de recharge « disséminées » sur le territoire

Dévoilée hier mardi 28 janvier par le journal Les Echos, l’information selon laquelle le groupe industriel Bolloré et l’énergéticien EDF sont candidats à la gestion du futur réseau national de points de charge pour véhicules électriques est une excellente nouvelle. Excellente ? A ce jour, les stations de recharge publique installées en France – 5 800 dont 3/4 en Ile-de-France via le service d’autopartage électrique Autolib’ – sont « gérées » par une multitude d’acteurs : le groupe Bolloré pour les bornes Autolib’ à Paris et sa petite couronne, Bluely à Lyon, Bluecub à Bordeaux, Sodetrel filiale d’EDF pour les bornes et stations rapides installées par Vinci Park, IKEA, Cora et de nombreuses villes – dont Strasbourg via l’expérimentation CROME –, les collectivités en direct via les équipementiers, …

A cette cacophonie s’ajoute le fait qu’aucune de ces bornes n’a fait l’objet d’un recensement national publié sur une plateforme publique et commune. Le GIREVE – Groupement pour l’Itinérance des Recharges Electriques de Véhicules – a donné lieu, en juillet 2013, à la création d’une société dont les actionnaires sont la Caisse des Dépôts, la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) – un énergéticien filiale du groupe GDF SUEZ –, EDF, le gestionnaire ERDF et le constructeur Renault. Le groupe PSA Peugeot Citroën, un temps présent à la table des négociations, n’a finalement pas souhaité participer à cette création. L’objectif du GIREVE est simple : recenser toutes les bornes de recharge du territoire et les intégrer à une plateforme commune de gestion de données afin de faciliter leur localisation/disponibilité/réservation via une application web ou smartphone, le paiement de la recharge via une carte unique, …


Une BMW i3 se rechargeant sur une borne de recharge publique aux Pays-Bas, le pays des 4 000 points de charge accueillant un dense réseau de bornes rapides (réseau Fastened)

 

Un réseau de bornes de recharge « anarchique »

6 mois après la création du GIREVE, aucune communication officielle n’a filtrée … Seule solution aujourd’hui adoptée par les utilisateurs de véhicules électriques, voire même par le constructeur Nissan pour les clients de sa LEAF : l’application Chargemap. Lancé en 2010 par le strasbourgeois Yoann Nussbaumer avec l’appui financier de la Région Alsace, le site recense une très grande majorité des bornes de recharge publique. Seule limite de ce site fondé sur un modèle collaboratif : les informations ne sont pas toujours à jour. Mais la difficulté apparente que constitue le recensement de l’ensemble des points de charge en France semble bien dérisoire au regard des défis que représentent leur interopérabilité et leur accessibilité.

Interopérabilité ? Un terme un peu barbare qui signifie que toutes les bornes puissent communiquer avec un outil de supervision et de gestion unique. Et dans ce cadre, la partie est loin d’être gagnée. En France, 5 800 bornes publiques ont été recensées par les pouvoirs publics à fin 2013. D’ici la fin du premier semestre 2014, l’Hexagone devrait en compter 10 000 au total selon la Mission interministérielle Hirtzman chargée d’accélérer le déploiement. Problème : toutes les bornes ne sont pas communicantes – dotées d’un module de communication type GPRS ou 3G – et, si module il y a, toutes n’ont pas été développées selon le protocole OCPP (Open Charge Point Protocol). Comprenez : OCPP est un standard libre – donc facilement connectable à un outil de supervision –, mais beaucoup de constructeurs ont choisi de développer leur propre standard, donc propriétaire. Et dans ce domaine, certains équipementiers ont pris beaucoup de retard pour créer des passerelles avec les outils déjà en place, tels celui de Sodetrel, filiale d’EDF.


Une Nissan LEAF devant une station de charge rapide en Espagne, un pays qui comptera bientôt une centaine de stations de charge rapide installées sur les axes reliant les grandes métropoles

 

Un réseau de 1 000 bornes « accélérées » dès 2015 : et pourquoi pas « rapides » ?

Autre difficulté : le communiqué de presse publié hier et analysé par Ingrid Feuerstein et Maxime Amiot des Echos fait état de l’installation et de la gestion de 1 000 à 5 000 points de charge publique dits « accélérés ». Selon le Livre Vert des Infrastructures de Recharge publié en avril 2011, la charge accélérée porte sur une puissance de 22 kW et, en extrapolant – espérons que les puristes ne nous en tiendront pas rigueur –, une puissance de 11 kW. Une telle puissance est censée recharger intégralement les batteries d’un véhicule électrique entre 1h30 et 3h. Problème : Renault ZOE est le seul véhicule qui accepte ce standard de charge. La smart fortwo ED peut, en option, y être également éligible. Les véhicules 100 % électriques actuels et à venir – Volkswagen e-up! et e-Golf, BMW i3 en option, Nissan LEAF, Peugeot iOn, Renault ZOE … – acceptent la charge « rapide » qui permet de recouvrer 80 % des capacités des batteries d’un véhicule électrique en une vingtaine de minutes.

Quel intérêt de déployer 5 000 bornes de recharge « accélérée » d’ici à 2017 alors que très peu de véhicules y sont éligibles et, de surcroît, ne satisferont pas à l’exigence des charges d’appoint façon stations-services ? Selon Frédéric Dittmar, directeur général adjoint chez IER – la filiale « opérateur » du groupe Bolloré qui gère les bornes Autolib’/Bluely/Bluecub et bientôt celles de Londres –, « il faudra en moyenne une borne tous les 100 kilomètres. Il faut (également) commencer à déployer des bornes sur les axes qui relient ces grandes villes ». Excellente initiative ! Sauf que, chez nos voisins néerlandais, espagnol et britannique, la priorité a été donnée depuis un long moment au déploiement d’un réseau de stations rapides. Autre difficulté à surmonter : les standards de charge et de prises. En Europe, 3 standards de charge rapide s’affrontent : le CHAdeMo japonais (43 à 53 kW, courant continu), le Renault-Schneider français (43 kW, courant alternatif), le Combo germano-américain (40 à 50 kW, courants alternatif et continu). Et chacun de ces standards dispose de prises spécifiques côté véhicule : type 4 pour le premier, type 2 pour le second, type « Combo » pour le dernier. Pour répondre à ce « bouillon de culture », certains équipementiers – tels ABB ou DBT CEV – proposent des stations compatibles avec les trois standards


Une Renault ZOE garée sur une place du service d'autopartage électrique Autolib' à Paris ; le coût horaire de la charge, stationnement inclus, est d'un euro. Mais pa sde charge accélérée, encore moins rapide

 

Bilan : ne boudons pas notre plaisir !

Ne boudons pas notre plaisir ! Après un arbitrage attendu – en vain – l’été dernier concernant la nomination d’un opérateur de 5 000 stations de charge rapide, après l’annonce faite le 16 janvier dernier par le Ministère du Redressement Productif concernant la prochaine présentation à l'Assemblée nationale d'une proposition de loi visant à créer « un opérateur national qui pourvoira la France du réseau essentiel des bornes électriques de recharge », cette initiative concrète est excellente. Les premières décisions seront prises après les élections municipales de mars prochain pour un démarrage du déploiement et de la gestion des bornes dès 2015.

Même si les contours juridiques et le nombre de stations à installer restent encore flous, les propriétaires de véhicules électriques pourront enfin accéder à un véritable réseau national. D’ici l’été prochain, Francis Vuibert, le pilote du projet, et son équipe devront répondre à l’ensemble des interrogations citées plus haut : interopérabilité, accessibilité, charge rapide, ... Sans oublier d’y associer les start-up et PME qui se sont lancées dans l’aventure, tels Chargemap ou KiWhi Pass. Un challenge qui est loin d’être insurmontable dans un pays qui compte le leader européen du véhicule électrique … 

Fabrice SPATH

Cofondateur du site, Fabrice roule en électrique la semaine et en hybride rechargeable le week-end. Après être passé par la case ingénierie chez des constructeurs et équipementiers outre-Rhin, il collabore régulièrement avec la rédaction et travaille au développement de la place de marché.



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