Affaire Renault : tricher, frauder, mentir... l'Etat juge et partie
Publié le 16 janvier 2016 à 12h19 | Jean-Christophe LEFEVRE | 4 minutes
Tant que l'Etat sera actionnaire principal de Renault, les investisseurs se méfieront de sa parole. Une partie de poker menteur à l'issue incertaine vient de débuter entre Royal, Macron et Ghosn. Une chronique « Humeur » signée Jean-Christophe Lefèvre.
A la fois actionnaire de Renault et responsable de la commission
Au-delà des enjeux techniques de dépollution et de santé publique liée aux émissions de NOx, de CO2 et de particules fines – chacun y allant de son explication savante – l'affaire Renault soulève la question fondamentale de l'actionnariat de l'Etat dans le groupe au losange (plus gros actionnaire avec près de 20 % du capital) ... et responsable par ailleurs de l'organisme de contrôle et de certification des émissions polluantes, l'UTAC CERAM (lui-même financé par PSA et Renault).
Admettons donc que Renault ne triche pas sur ses émissions polluantes et que l'Etat ne fraude pas en mesurant ces niveaux de pollution – tout en accordant un « droit » à les dépasser au moins du double dans « la vie réelle ». Tous les constructeurs doivent se soumettre à un protocole de certification de dépollution qui permet de classer fiscalement le véhicule (carte grise, taxe sur les véhicules de société, bonus-malus, etc.) et de l'autoriser prochainement à circuler ou pas dans les zones urbaines à accès réglementé (vignette Royal).
Ghosn, Royal et Macron dans le même Renault Espace
Ensuite, la réalité de la consommation et de la pollution est beaucoup plus difficile à mesurer et à reproduire selon un protocole incontestable, c'est tout l'objet du nouveau cycle européen de certification. C'est aussi le laborieux travail en cours sur la centaine de voitures testées par l’UTAC. Il en ressort néanmoins que les Renault sont tout de même plus polluantes que ses concurrentes, dixit la ministre de l'Ecologie. Et plus particulièrement le récent Espace diesel, selon une ONG allemande, qui a recours au petit 1.6 l turbo équipé d'un piège à NOx peu performant en charge et à chaud (situation non prise en compte dans les tests de certification à ce jour).
D'autre part, la direction de la concurrence a effectué des perquisitions et saisies d'ordinateurs chez Renault qui n'auraient aucun rapport avec cette affaire de pollution selon Renault, la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal et Emmanuel Macron, ministre de l'Economie. Il s'agissait plutôt de « préserver les intérêts des consommateurs » ... Des intérêts qui vont à l'encontre manifestement du rôle du ministre de l'Economie, garant du bon usage des 19,74 % que l'Etat détient chez Renault et contraint de soutenir l'action du Losange. Tout en conservant l'objectif à court terme de revendre sans pertes les 5 % de ce capital acquis l'année dernière pour imposer son droit de vote double chez Renault-Nissan (loi Florange). Le tout en défendant mordicus une plus grande dépollution des voitures, Renault en tête.
Le vent du boulet
En étant à la fois juge et partie, législateur et régulateur, actionnaire et spéculateur mais aussi « pollueur », l'Etat se tire une balle dans le pied à chaque fois qu'il prend la parole. Qui est tout à la fois tricheur, menteur et fraudeur ? La ministre de l'Ecologie, le ministre de l'Economie et le patron de Renault-Nissan, Carlos Ghosn bien sûr. Cette affaire Renault n'en est qu'à ses prémices et fera grand bruit cette année. Son patron ne supportera pas longtemps d'avaler encore des couleuvres, qu'elles soient vertes ou pas. Les investisseurs ne s'y sont pas trompés et bien au-delà des explications alambiquées à souhait sur les protocoles de mesures de émissions polluantes. Le vent du boulet a une forte odeur de dioxydes d'azote. Les subtilités sémantiques autour de la vraie signification des termes mentir, frauder ou tricher ressemble de plus en plus à une partie de poker menteur. La Bourse en raffole, les actionnaires beaucoup moins.